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  • Photo du rédacteurMargaux Rolland

Fromage et ses Amis - Fabien Degoulet - Le Mans (72)

Dernière mise à jour : 26 sept.

Après avoir passé 10 ans au Japon et obtenu le titre de Meilleur Fromager du Monde, Fabien Degoulet, a ouvert sa fromagerie au 107 Quai Ledru-Rollin au Mans, intitulée « Fromage et ses amis ». Un parcours riche en découvertes et en partages que Fabien nous livre en toute transparence.


Fabien Degoulet
Fabien Degoulet


Pouvez-vous me raconter votre enfance, votre scolarité et votre parcours ? Je suis Manceau d'origine et je suis la troisième génération de crémiers fromagers dans ma famille. Il faut savoir que je ne voulais absolument pas faire ce métier lorsque j'étais plus jeune. Je n'entendais parler que de ça à la maison. Pour autant, j'aimais bien le fromage, mais j'ai décidé de voir ailleurs et de prendre une autre voie. J'ai poursuivi ma scolarité de manière classique au Lycée Bellevue et je me suis orienté dans des études de japonais. J'ai fait ma fac à l'INALCO à Paris (Institut National des Langues et Civilisations Orientales) en japonais avec une option économies internationales, dans le but de travailler dans l'import-export et de partir un an au Japon. En arrivant là-bas, je n'avais que quelques contacts téléphoniques et un peu d'argent pour vivre. J'ai commencé mes démarches pour trouver un emploi et je me suis naturellement orienté vers la société « Fermier ». J'ai passé un entretien. Malgré mes études de langues en japonais, je n'ai pas compris grand-chose. J'ai retenu qu'il fallait arriver à 8 heures le lundi. Je l'ai fait en me disant que j'y passerais mon année comme prévu, puis je ne suis reparti que 10 ans après. C'était une entreprise très renommée en Asie et au niveau mondial. C'est Rumiko Honma qui est à l'origine de cette structure créée en 1986 dans l'importation de fromages français. En prenant ce poste, et étant fils et petit-fils de crémier fromager, je pensais tout connaître. J'en étais bien loin en toute évidence, puisque ce n'était finalement pas mon métier.

J'ai évolué petit à petit, je suis devenu vice-manager puis manager de boutique, j'ai ensuite pris le poste de manager de la maison mère. Ces postes m'ont fait évoluer sur le conseil client, sur la connaissance des produits. Je goûtais les fromages constamment. Deux ans plus tard, j’étais chargé de la recherche et du développement au sein de la société. C'était pour moi la découverte d'autres métiers. Je suis donc passé par affineur, stratège d'entreprise, chargé d’événementiel, un peu cuisinier aussi et je m'occupais également de la partie commerciale. Les défis m'animaient. Un poste de remplacement m'a été proposé quelque temps après, j'étais tout juste en explosions d'idées et de projets. Je ne pouvais rien mettre en application, alors j'ai décidé de rentrer en France et de maintenir toutes ces idées pour moi.


Entre-temps, j'ai obtenu mon titre de meilleur fromager. Rumiko Honma m'a poussée à faire le concours une première fois en 2013. J'ai compris qu'il y avait un gros manque de connaissances théoriques et techniques, j'étais finaliste. Elle voulait que je me présente de nouveau en 2015, j'ai pourtant longuement refusé, mais elle avait raison. J'ai travaillé sur mes lacunes et ça a payé. Les portes se sont ouvertes, des contrats m'ont été proposés. J'ai eu l'opportunité de promouvoir la France dans de nombreuses régions du Japon durant des semaines. J'ai des souvenirs plein la tête, mais comme dans toute aventure, il y a du bon et du mauvais, j'ai pris la décision de rentrer en France.


Les voyages m'ont apporté des contacts et permis de faire des rencontres. Le directeur commercial de la maison Marcel Petite (affineur en Comté) m'a proposé de venir m'acclimater à Pontarlier en prenant un poste. C'est une des plus belles maisons de fromagerie. Je faisais des rencontres entre professionnels, je collaborais avec les clients internationaux et j'ai pris le temps de voyager dans les régions et pays voisins.

J'avais déjà beaucoup de contacts et mon souhait était d'ouvrir mon entreprise d’événementiel dans le fromage. Je collaborais avec des maisons de champagne, avec aussi le CNIEL (Centre National Industriel de l’Économie Laitière). Donc j'ai commencé tranquillement en février 2019, je travaillais dans une dizaine de pays différents, mais c'était timide quand même. J'ai élargi mon réseau et rempli le calendrier de 2020. Le virus est arrivé et la suite n'est pas si belle. Tout s'est annulé.


J'ai repris le dessus et cherché une alternative. Je me suis orienté vers la création de la boutique pour me poser et reprendre le conseil client. Les avis étaient mitigés quant à la localisation de la boutique. Je sais pertinemment que l'achat de fromage est un achat plaisir. Les gens ne viennent pas chaque semaine, je considère que l'emplacement est bon et j'en suis maintenant convaincu. Je peux également proposer des prestations séminaire ici.


Quelle était l'idée dans le nom "Fromage et ses Amis" ?

Ça veut dire beaucoup de choses. C'est notamment un concept que j'ai appris au Japon, le fromage, c'est bien, mais on ne le mange rarement tout seul. Donc les amis ça comprend le vin, le saké, la bière, le pain, la confiture et les condiments par exemple. Ça prend en compte aussi le concept expertise et convivialité. Dans cette boutique, je ferais venir aussi des producteurs pour qu'ils rencontrent les clients le temps d'un échange.


Quel est votre point de vue sur l'univers du fromage ?

J'ouvre une porte et il y en a trois autres qui s'ouvrent. C'est un monde sans fin. Sur les fromages au lait cru par exemple, on ne pourra jamais manger deux fois le même fromage. Il y a trop de conditions qui entrent en compte dans le processus de fabrication. Ce qui ne garantit pas un résultat identique d'une fois à l'autre. L'affinage est différent en fonction de l'altitude, de la région, des conditions climatiques et météorologiques. Chaque lot se distingue et va fleurir d'une sorte, ne pas s'égoutter de la même manière. Maintenant, c'est ultra maîtrisé, mais moi j'y trouverais toujours une distinction, comme pour le vin. Le rôle du fromager entre à ce moment, c'est à lui d'expliquer les raisons des différences aux clients. C'est un univers infini et j'ai tellement de choses à apprendre. J'essaie constamment de comprendre le pourquoi du comment. Je n'ai pas fait d'étude dans la biologie du lait donc j'ai du retard. Je lis, je me documente et je visite.


fromages
Fromages

Combien d'années d'études ont été nécessaires pour obtenir vos titres ? Je les compte encore puisque j'étudie encore. Depuis le début, jusqu'à aujourd'hui et encore demain. Le fait d'avoir obtenu mon titre me demande encore plus de connaissances et de travail. Les gens attendent quelque chose derrière cette distinction.


Combien de références avez-vous en boutique ?

Approximativement 80. J'ai déjà pas mal de changement sur ce niveau depuis l'ouverture.

Je sélectionne mes produits en fonction de mon humeur tout simplement. J'essaie de faire des roulements aussi pour élargir le panel. Je travaille en fonction de la typicité et des produits que les clients ont déjà découverts. Je veux jouer sur l'expérience. Je m'adapte aussi aux goûts des consommateurs, ce qu'ils préfèrent ou non. Et puis on travaille intelligemment avec les producteurs, quand ils ont un trop-plein de produits, je les présente en boutique et quand je manque de produits, ils savent me le rendre.


Allez-vous fabriquer vous-même des fromages ici ?

Non, ce n'est pas prévu, je vais commencer à faire des spécialités par contre, comme le maroilles au whisky, des camemberts à la clémentine, des fromages de chèvre à la fleur de Sakura (cerisier japonais) et du brie truffé. Je vais jouer sur les saisons et élaborer des recettes.


Avez-vous l'intention d'être à la tête d'un fromage sarthois ?

Oui peu être, mais je me verrais plus en collaboration avec un producteur, la création n'est pas tellement mon domaine. Le but est d'évoluer en consultant comme je le faisais avant. Je veux continuer de voyager parce que j’apprends énormément en visitant. Le mariage des goûts, l'association des produits entre eux, c'est intéressant. Je m'adapte à la vision d'une population par rapport à un produit, et je le travaille d'une autre manière. Il faut toujours se remettre en question. Lorsque je me rends dans d'autres pays pour des prestations événementielles, la première chose que je fais, c'est de me rendre dans les supermarchés pour découvrir les spécialités locales et les produits phare. Je goûte et je cherche une association à faire avec des fromages pour les présenter en séminaire. Je remplace la manière de manger le fromage à la française avec les habitudes quotidiennes du pays en question. Changer le champagne par du saké, ou du pain par des galettes de riz soufflés. Le but est tout simplement de sublimer le produit français avec une culture locale. Donc je serais d'accord pour accompagner une création.


Votre activité ne se résume pas seulement à l'achat/revente en boutique ?

Effectivement, je fais des visioconférences, je travaille avec l'AOP Comté, je fais des masters classes, des séminaires, je pense à des créations de restauration, mais on verra à l'avenir. C'est bien d'avoir des idées, mais il faut les mettre en place et aussi les maintenir. C'est une adaptation. Il a beaucoup de choses de prévu. J'aime énormément conseiller et vendre, mais les choses en parallèles sont vraiment enrichissantes. Il va aussi falloir que je trouve du personnel, c'est plus compliqué.


Trouvez-vous, dans votre travail, une forte tendance asiatique ou française ?

Je suis trop français. Quand j'habitais au Japon, je parlais vraiment comme un japonais dans l'expression, je changeais. Je ne perds pas cette habitude, je reste régulièrement en contact avec des personnes là-bas donc ça ne change pas, mais avec le franc-parler du français. Mon retour en France m'a fait du bien pour ça, je n'avais plus à peser mes mots. Du coup maintenant je m'adresse à un Japonais à la japonaise et à la française.

Je mange du fromage, je bois du vin et je suis français. Les ambiances, la nourriture, la magie et les rencontres de l'Asie me manquent. Lors des coups de fatigue là-bas, j'allais dans des restaurants seul, et j'apprenais rapidement à connaître du monde. On se parlait de table à table. J'ai eu des sensations en mangeant des brochettes de poulet pour l'équivalent d'1 €, c'est incroyable et inoubliable. Le service est important au Japon, le conseil aussi, le client est vu comme un demi-dieu donc rien est laissé au hasard. Je dirais presque que c'est lourd à la longue, mais on ne peut pas enlever le détail du Japon. Ça se ressent sur mon travail, je garde des manières et je m'en rends compte. Le sens du détail, le relationnel, le conseil. C'est instinctif.


Considérez-vous que le monde professionnel lié au fromage est un monde fermé ? C'est en train, peut être malheureusement, de trop s'ouvrir. Lorsque j'ai commencé, il n'y avait pas autant de monde. Il y a maintenant, plus de facilité d'ouverture. C'est un métier en vogue. Alors je ne dis pas qu'il y a trop de boutiques, moi le premier, je profite de cette vague bien évidemment. Je dirais plutôt que c'est trop ouvert parce qu'on le ressent chez les producteurs. La matière première manque, les producteurs n'ont plus de fromage et ne peuvent répondre aux demandes. On entre dans une vague où il y a plus de demandes que d'offres. Il va falloir choisir, on ne peut pas être dans le bien être animal, maintenir une bonne qualité et produire en quantité. Le producteur va avoir la possibilité maintenant de choisir son client et son distributeur. Ça permet de changer la donne. Les exploitations vont faire face à des difficultés aussi, beaucoup d'exploitants partent en retraites et il n'y a pas suffisamment de relève.


Que définissent les titres "Chevalier de Sainte-Maure et du Picodon" ?

Ce sont des titres symboliques, le but est de faire la promotion, d'être ambassadeur et de jurer le bien du produit. C'est de l'amusement et de belles rencontres. C'est comme le titre de maître fromager, nous sommes plusieurs à l'avoir obtenu. Lorsque je me rends dans d'autres pays, je les contacte et on se retrouve. C'est un lien familial très enrichissant.


Quelles sont les raisons de votre installation au Mans et pas ailleurs ?

Il y a plusieurs raisons à cela. D'une part la facilité, parce qu'il n'y avait, au moment de mon installation, qu'un crémier donc il y avait de la place pour moi. D'autre part, une clientèle était assurée, c’était celle de mes parents. Et enfin l'envie de revenir aux sources et de raconter l'histoire du jeune parti au Japon, qui rentre chez lui avec le titre de meilleur fromager du monde. L'histoire est facile à raconter, elle est humaine, les gens cherchent ça aussi et viennent à la boutique pour discuter et découvrir.


Travaillez-vous en partenariat avec d'autres professionnels ?

Je fournis certains restaurateurs, je travaille avec l'AOP Comté, avec Tentation Fromage en consulting produits et quelques maisons de saké. Je m'assure une sécurité aussi. Il n'y a pas que de bonnes personnes, certaines vont utiliser mon nom à mauvais escient.

Comment envisagez-vous la suite au Mans ? J'ai quelques projets, quelques recettes, je veux miser sur l’événementiel, travailler avec des traiteurs, faire des collaborations, je vais aussi envisager les ateliers, des dégustations de fromages, j'ai énormément de demande. Il y a plein de choses à faire.


Quel est votre fromage préféré ?

Je n'en ai pas. Je connais trop de produits pour pouvoir faire un choix. Ce n'est pas que je les aime tous bien sûr, mais je suis indécis. Il y toujours des émotions différentes sur le fromage donc j'aurais du mal à choisir. Si je devais emmener un fromage sur une île déserte, je prendrais un comté. Le camembert pèse 250 g et le comté 35 kg, je tiendrais plus longtemps. Trêve de plaisanterie, j'ai une préférence sur le comté.


Le plateau de fromages idéal se compose comment selon-vous ? Il faut répartir les goûts, mixer les saisons, définir la thématique du plateau et faire un accord avec le vin. Je dirais 7 fromages pas plus, une pâte pressée, un joli comté, des bleus anglais exceptionnels qui ont des notes de torréfactions, de beurre et de champignons pour le côté gourmand. Pour moi, un bon plateau de fromages doit permettre au consommateur de commencer par le fromage de son choix. Certains fromages sont plus forts que d'autres, certes, mais ils doivent être accordés ensemble. Du côté de la dégustation, l'intégralité des fromages doit être goûtée une première fois, ensuite, il faut repartir sur un tour et découvrir de nouveaux arômes, c'est chouette. C'est simplement ça la recette.

J'ai fait des découvertes assez incroyables en faisant ça. Le premier que vous trouviez fade ne donne plus les mêmes sensations puisque votre palais maintenant est plus riche, les papilles sont éveillées. Ça devient infini.

 

Retrouvez Fabien directement à la boutique au 107 Quai Ledru Rollin au Mans, et suivez toute son actualité via les réseaux sociaux : Instagram et Facebook sous le nom de "Fromage et ses amis".


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